• Marins d'argile

    Cécile Raynal sculpte la chair de la terre pour créer. Cette fois c’est en mer, dans l’univers clos d’un porte-conteneurs, qu’elle a façonné le portrait de marins au long cours d’aujourd’hui.

         « Hommes d’équipage » est le fruit d’un travail en résidence à bord du Fort St Pierre, navire de la compagnie CMA - CGM. Durant trois mois, le temps de trois rotations entre Le Havre et la Martinique, Cécile Raynal va élever les bustes des équipages aujourd’hui exposés en équilibre sur des piles de bleu de travail ou suspendus tout près de poutres métalliques.

     

     

         Cécile Raynal travaille dans des lieux inattendus et en marge comme la prison, l’hôpital ou la maison de retraite. Dans le choix du bateau on retrouve l’idée de sculpter dans un lieu délimité mais en mouvement permanent, un monde d’acier où des marins vivent et travaillent les uns au dessus des autres, dans un monde vertical, tantôt transparent tout la haut, derrière les vitres de la passerelle avec vue sur la courbure de la Terre, tantôt blafard sous les néons, les vibrations intenses, la chaleur volcanique, les odeurs huileuses dans les salles borgnes des machines, en bas. Et au milieu : le pont et l’atelier-cabine de l’artiste.

     

     

     

         Mais cette verticalité très cloisonnée disparaît dans la représentation insolite de ces hommes d’équipage. Dans la salle d’exposition ils apparaissent en effet sans repère de hiérarchie, posés les uns à côté des autres car alors ce qui importe et nous saisit c’est le regard horizontal des marins. On est frappé par ce regard qui porte loin, comme si on ne pouvait que regarder très loin devant soi lorsqu’on navigue depuis vingt ou trente ans, qu’on soit du château ou de la machine. Ouvriers marins de Roumanie, des Philippines, officiers de France, ils se déplacent plus qu’ils ne voyagent, lentement, sans réelle destination, dans une solitude étrange qui change l’œil.

         A bord, le temps ne se mesure plus vraiment comme à terre, selon qu’au fil des jours le bâtiment suive, ou pas, la course du soleil. Il faut imposer aux horloges des corps la fuite des fuseaux. A l’intérieur du navire qui trace son sillage obstinément, qui oscille selon la houle, qui vibre et palpite, qui traverse un océan semblant sans fin, le temps qui s’écoule devient durée. Or, Cécile Raynal dans la durée et la lenteur de ce voyage scrute et dévisage marins et officiers. C’est un long travail de la terre, en mer, d’où ressortiront trente têtes et bustes qui seront travaillés encore plus tard, à terre. Puis cuits.

     

     

         Il se dégage une force étrange de ces statues parce qu’elles laissent deviner que le reste du corps, c’est à dire la partie que l’on ne voit pas, est bien campée, ancrée pourrait-on dire, pour annuler les mouvements incessants du navire. Ainsi les bustes révèlent une véritable force intérieure, une stabilité pas si fragile qu’accentue le regard si humain mais aussi les bras croisés sur la poitrine ou les mains en appui sur quoi se tenir. Le travail sur le geste, la position du corps nous émerveille : on imagine facilement un instant d’avant et un instant d’après . Exactement comme lorsqu'on observe une photo et que l'on imagine un mouvement qu'a dû pouvoir faire le sujet.

         Finalement, les visages sculptés des équipages du Fort St Pierre sont des portraits photographiques dont les regards sont fixés sur l’éternité; fascinantes statues comme des points de suspension tirés de l'océan. 

     

     

     

    A lire également "Les hommes d'équipage" où Cécile Raynal relate dans une écriture intimiste son parcours et son travail à bord du Fort St Pierre : http://blog.hommesdequipage.com/

    Les photos sont extraites du site internet de l'artiste : http://www.cecileraynal.net/expositions.htm

     

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